CONTRIBUTION DES YORUBA AUX CULTURES DU BENIN


LA CONTRIBUTION DES YORUBA AUX CULTURES DU BÉNIN
Professeur Jonh O. IGUE dans " Dieux, rois et peuple du Bénin. Arts anciens du littoral aux Savanes"

  Les Yoruba, par leur effectif d’environ 829 509 habitants soit 12,30% selon les données du recensement de 2002, occupent la deuxième place après les populations Aja-Fon du Bénin qui sont de 3 686 021 habitants soit 54,41%.

  Comme les Aja-Fon, ils habitent la partie méridionale depuis la mer jusqu’au 9ème parallèle nord avec une forte concentration à l’Est du Département des Plateaux, au Centre du Département des Collines, au Sud du Borgou voir la ville de Parakou et la Commune de Tchaourou et de la Donga voir  Bassila, Manigri, Alédjo.

  Hormis cette partie méridionale et Centrale du Bénin, il existe quelques noyaux au sein des populations Bariba du Département de l’Alibori ; il s’agit des Mokolé des villages d’Angaradébou, Tui et Iya dans la Commune de Kandi.

  Malgré ce faible effectif comparé à celui des Aja-Fon, le poids des Yoruba dans la société béninoise reste prépondérant. Celui-ci peut se mesurer à trois niveaux : la mise en place du peuplement, le développement culturel et les activités commerciales largement dominées par les Yoruba de Porto-Novo. L’importance qu’occupent les Yoruba dans la mise en place des différentes populations au Bénin est très peu évoquée à travers les publications parues sur l’histoire de ce pays. Les rares travaux qui ont insisté sur cette importance sont signés du père Bertho, de Pierre Verger, de Paul Mercier, de Montserrat Palau Marti…

  Sur le plan culturel, les apports des Yoruba se mesurent dans la ressemblance des institutions politiques traditionnelles, dans les cultes, dans la structure de l’habitat et les autres manifestations socioculturelles, comme l’habillement, les habitudes culinaires et les arts plastiques.

  Dans ce travail, seuls deux aspects seront évoqués : l’importance des Yoruba dans le peuplement et leurs apports aux cultures béninoises.

-         Le peuplement Yoruba au Bénin :

  On distingue cinq phases d’occupation yoruba au Bénin.
  La première, qualifiée de pré-oduduwa, est constituée d’aborigènes Yoruba qui représentent les phases anciennes du peuplement au Bénin actuel. Ce peuplement pré-oduduwa reste déterminant dans la mise en place des populations méridionales et centrales. Il aurait affecté toute la basse côte depuis la mer jusqu’au neuvième parallèle nord. Les témoins de cette ancienne occupation sont visibles sur le terrain entre le sixième et le huitième parallèle nord à travers de vieilles populations igédé (Guédévi d’Abomey), Ifè dans les Arrondissements de Tchetti et Dumè dans la Commune de Savalou, Ifita et Idaïtcha dans les Communes de Dassa-Zoumé et Glazoué, Iloji et Itcha dans Bantè.

  A propos de ce peuplement pré-oduduwa, on sait peu de choses de son origine. Mais on peut le considérer comme originaire d’Ifè à partir de l’appellation et de l’importance des ateliers de fabrication de perles dont les premiers sont localisés à Ilé-Ifè d’après les sources disponibles jusque-là.

  La seconde phase se situe entre le XIIIè et le XIVè siècle. Elle résulte de la migration des descendants d’Oduduwa, ancêtre mythique des Yoruba. Elle aurait affecté la partie orientale du Bénin et donné  naissance à trois entités politiques : Sabè, Kétou et Popo. Sabè et Kétou existent encore en tant que royaumes ; en revanche, le domaine popo reste difficile à déterminer. Il est fort probable que les Popo aient constitué la base du peuplement yoruba d’Ajàsè et d’Akoro auprès de qui Tê Agbanlin négocia le pouvoir avant de s’installer à Porto-Novo. Cette hypothèse est formulée à partir de l’existence d’un temple d’Oduduwa au quartier Akron (Akoro) à Porto-Novo. Ce fétiche oduduwa fait partie des plus importants dieux de la ville de Porto-Novo, tout comme c’est le cas à Sabè et Kétou.

  L’installation des enfants d’Oduduwa s’est faite aux dépens des pré-oduduwa. Cependant, les traditions rapportent que les royaumes fondés par les descendants d’Oduduwa ne sont devenus effectifs qu’après négociations avec les aborigènes appelés ‘’Ojudu’’ à Sabè et ‘’Ifon’’ à Kétou, etc.

  La conclusion des alliances avec ces aborigènes permet à ces derniers d’être associés à la gestion du pouvoir par la nomination de quelques dignitaires. C’est le cas à Kétou avec les ministres Akiniko et Ajahossou. Ces ministres de l’ancienne couche de peuplement jouent un rôle important dans la nomination de chaque roi à Kétou. A l’intronisation du roi (alakétou), celui-ci reçoit d’abord le feu, symbole de la cohabitation de la main des Ifon.

  La troisième phase d’occupation yoruba est réalisée par les originaires d’Oyo. Ce peuplement oyo a affecté les franges de la périphérie sud-est des royaumes créés par les enfants d’Oduduwa. En dehors de ces groupements oyo qui ont servi de toile de fond et qui sont responsables de la fondation des royaumes d’ohori (Commune de Kpobè) et d’Ifohin (Commune d’Ifanhin), la forêt résiduelle du plateau de Sakété-Pobè a été repeuplée par les fuyards egba et egbado lors de la guerre d’Owu vers 1820. Les Etats ‘’ohori’’ et ‘’ifohin’’ sont créés entre 1650 et 1700 pour servir d’avant-postes aux conquêtes du Danhomè par l’alaafin Ojigi. Mais l’épanouissement de ces Etats a été surtout assuré par le fait qu’ils étaient traversés par les routes commerciales qui relient Oyo-Ilé aux ports de Badagry et d’Ajasè (Porto-Novo). Ensuite viennent les Yoruba issus de la traite des esclaves. Il en existe deux formes : les invendus yoruba qui peuplent actuellement les anciens ports négriers de Ouidah, Godomey, Abomey-Calavi et Zinvié ; puis ceux qui sont revenus du Brésil et de la Sierra-Léone entre 1840 et 1860. Ces Yoruba se sont greffés sur les invendus des mêmes anciens ports négriers en particulier à Ouidah.

  Ces différentes phases d’occupation yoruba ont été par la suite enrichies d’une migration récente en provenance du Nigéria. Celle-ci a surtout affecté les principaux centres urbains. Ces Yoruba viennent en majorité de la Province d’Oyo et notamment des localités de Saki, Igboho, Ogbomèsho, Ofa, Ejigbo, Isèyin et Okeho. Ils exercent majoritairement les activités commerciales. Les Yoruba actuels du Bénin sont issus de ces cinq formes de peuplement dont le rôle reste déterminant dans les cultures béninoises.

  L’importance culturelle des Yoruba dans la société reste l’élément majeur de la civilisation béninoise. Celle-ci s’est faite à partir de la domination politique qu’Oyo a d’abord exercée sur Abomey et de la vassalisation par la suite des royaumes de Sabè et Kétou par ce dernier à partir de 1870. C’est à partir de ces éléments politiques que cette influence culturelle yoruba s’est imposée sur les autres sociétés béninoises. Celle-ci peut être mesurée au niveau politique, religieux et urbain. Cette influence culturelle résulte aussi d’un long processus de métissage qui s’est opéré entre les groupes aja-fon et les groupes yoruba depuis la période pré-oduduwa.

  Au niveau politique, l’impact culturel yoruba sur les institutions politique aja-fon a surtout été signalé par Paul Mercier, Montserrat Palau Marti et Isaac Adeagbo Akinjogbin. Dans sa thèse ‘’Dahomey and its Neighbours’’, le Professeur Akinjogbin a bien montré comment toutes les institutions politiques aja-fon reposent sur la parenté (c’est-à-dire ‘’èbi’’), tout comme en pays yoruba. La manifestation d’une telle institution se sent d’abord dans le caractère électif du roi, dans le fait que les princes ne possèdent aucun pouvoir dans le royaume, dans l’imprécision de l’idée de noblesse. Aussi toute la liberté est-elle donnée à chaque prince d’épouser n’importe quelle femme du royaume y compris une esclave, de même, la princesse a la possibilité de se marier avec un roturier. Cette notion de parenté explique aussi l’importance du conseil de roi dans tous les royaumes aja-fon. Comme en pays yoruba, chaque élément du conseil reste attaché à un lignage. Le poids de la parenté dans les institutions détruit la notion de la féodalité telle qu’elle fut évoquée dans les institutions sociopolitiques africaines.

  Le deuxième aspect de la ressemblance des institutions politiques aja-fon avec celles des yoruba est le caractère sacro-saint des rois, comme Palau Marti l’a montré dans son ouvrage ‘’Le Roi, dieu au Bénin’’. A Tado, à Abomey et à Porto-Novo, tout comme à Ilé-Ifè et Oyo, certains rois sont élevés au rang de dieu après leur mort et deviennent ainsi des chefs éternels. C’est le cas d’Oduduwa à Ilé-Ifè, de Alaafin Sango à Oyo et du roi Adjahouto à Allada. C’est à juste titre que Willington D. Jones et Auguste Le Hérissé ont pu écrire, le premier en parlant d’Oyo et le second à propos d’Abomey que le caractère quasi divin des morts donne à l’histoire quelque chose d’un mystère. L’histoire revêt un saint caractère ; elle n’est pas seulement le moment des gloires d’une tribu fondatrice d’un royaume, elle touche encore au merveilleux. Mais dans le domaine religieux que l’influence yoruba reste déterminante dans les cultures du Bénin. Cette influence peut s’analyser à trois niveaux : celui du nombre des dieux qui constituent le panthéon yoruba, est composé de quatre cent un dieux nommés ‘’orisa’’. Les plus importants de ces dieux sont Nana Buruku, Oduduwa, Obatala, Ogun, Sanpona, Sango. Tous ces orisa, appelés vodun au sud du Bénin, constituent l’ensemble du panthéon aja-fon.

  Dans tous les couvents du sud du Bénin, la langue d’initiation est le nago ; de même, le nago est utilisé par les fidèles de ces cultes et les titres que portent les dignitaires sont souvent en nago. Par exemple les origines nago-yoruba vodoun Sapata sont attestées par le fait qu'au cours de leur initiation les futurs spatasi, gens consacrés à Sapata, sont appelés anagonou.

  Le poids dominant de l’influence culturelle yoruba sur les populations du sud du Bénin n’est pas uniquement lié au fait que la toile de fond du peuplement soit d’origine yoruba, mais aussi à un mouvement de greffage et de métissage qui s’est fait à travers les apports esclavagistes majoritairement d’origine yoruba. Le statut d’esclave de ces yoruba ne leur a pas donné la possibilité de s’affirmer politiquement. C’est surtout le plan culturel que ces derniers ont conservé toute leur influence. Au moment des cérémonies de naissance et de décès, ces groupes manifestent leur appartenance culturelle. Beaucoup parmi eux ont d’ailleurs conservé leur nom yoruba, d’autres ont pris des noms aja-fon et ne se retrouvent yoruba qu’à travers les poèmes de salutation (oriki). Le poids de ces esclaves notamment ceux qui n’ont pas été embarqués pour l’Amérique, est déterminant dans la diffusion d’oro et d’egungun en milieu aja. Quant aux yorubas revenus du Brésil, très peu se souviennent de leur origine. Ils préfèrent conserver leurs appellations portugaises ou brésiliennes, à la différence de ce qui s’est passé à Abèokuta où la plupart des esclaves revenus de la Sierra Léone ou du Brésil ont repris leur nom yoruba. La conscience brésilienne ou portugaise s’est d’autant plus développée que ces esclaves ont constitué pendant longtemps dans ce pays, la première couche d’intellectuels sur laquelle les Européens se sont appuyés pour asseoir leur administration ainsi que les structures d’économie de traite. Cette situation a encore renforcé la conscience de la classe de ces ‘’Afro-Brésiliens’’ dans cette partie méridionale du Bénin. Cette conscience s’est d’autant plus enracinée qu’elle s’est profondément appuyée sur les forces impérialistes. Cela a donné l’occasion à ces anciens esclaves de prendre leur revanche sur les traitants aja-fon qui les avaient vendus aux négriers portugais. C’est pratiquement à partir du refus de s’intégrer à un milieu qui n’est pas le leur à l’origine que ces esclaves revenu du Brésil ont pu se constituer en une bande à part, pratiquant même l’endogamie pour pouvoir mieux résister à la pression que la société pourrait exercer sur eux.

  A partir de ces constatations, on pouvait se passer de considérer les ‘’Afro-Brésiliens du Bénin comme des yoruba. Mais au-delà d’un vernis brésilien, bon nombre parlent encore yoruba dans leurs concessions. Mieux, face au développement de la conscience africaine qui se manifeste aujourd’hui par le retour à l’authenticité, la plupart des Afro-Brésiliens, ont déposé leur masque pour commencer à vivre intensément leur culture yoruba. On peut citer en exemple le cas des da Sylva, des Paraïso à Porto-Novo, des Prudencio de Ouidah. Ce retour à l’authenticité yoruba a renforcé dans le milieu aja-fon l’emprise de la culture yoruba à travers le culte des revenants (egungun).

  La dernière manifestation culturelle yoruba est celle du développement urbain. En effet, l’une des originalités de la civilisation yoruba porte sur l’essor exceptionnel des villes traditionnelles. Les Yoruba, tout comme les Haoussa, sont d’abord des urbains avant d’être des ruraux. Les villes yoruba constituent donc les principaux cadres de civilisations. Celles-ci comprennent plusieurs générations et ont influencé d’autres civilisations notamment celles du Bénin méridional. Cette civilisation urbaine a dépassé son cadre originel pour s’étendre à Tado (Togo), berceau du peuple aja-fon, à Allada, Porto-Novo et Abomey. Leurs caractéristiques essentielles portent sur trois éléments principaux : un palais royal de nature imposante autour duquel se structure la ville, un marché en face du palais et les lignes de fortification, constituées d’un fossé, d’une muraille ou des deux à la fois, lesquels sont percés d’une ou de plusieurs portes d’entrée.

  L’influence culturelle yoruba reste encore significative dans le golfe du Bénin. Celle-ci partie d’Ilé-Ifè (Nigéria actuel), s’est étendue jusqu’à la porte d’Accra (Ghana) en façonnant le peuplement de telle manière que les populations comprises entre le delta du Niger et l’embouchure de la Volta, sont profondément tributaires de l’héritage culturel yoruba. Celui-ci se manifeste d’abord par le poids du religieux dans la société. Mais si les vrais Yoruba ont commencé à prendre leurs distances à l’égard de la forte emprise des religions traditionnelles, celles-ci restent encore vivaces au Bénin à travers le concept de ‘’vodun’’ attestant ainsi du niveau d’appropriation et d’intériorisation de cette culture yoruba par les peuples d’origine aja-fon.
Photo 1 :  Pour les fon d'Abomey Goun joue le même rôle que Ogoun chez les Yoruba.
Photo 2 :  Eshou gardien de la ville d'Oshogbo et Lègba gardien des maisons à Abomey.
Photo 3 : L'élegegun de Sango, Osogbo Nigeria; Cérémonie de Sango à Ouidah;  Autel de Sango à Sakete
Photo 4 : les Vodunsi de Zomadonu Allada;
Les Gunguns dans Alexandre d'Albeca, La France au Dahomey, Paris, Hachette, 1895; Benidictions de bébés fon ou nago par les esprits des ancêtres, Porto-Novo

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